LA GUERRE DE TROIE ET ULYSSE I - LES ORIGINES DE LA GUERRE DE TROIE Il n’y a pas de guerre sans discorde. Mais la dispute à laquelle on peut faire remonter la guerre de Troie surgit entre trois déesses et non pas entre Grecs et Troyens. En effet, aux noces de Thétis et de Pélée (les parents d'Achille), la Discorde lança une pomme d'or au milieu de l'assemblée, disant qu'elle la destinait à la plus belle des déesses. Personne n'osa décider qui d'Héra, d’Athéna ou d’Aphrodite méritait ce titre et l’on porta le débat devant Pâris. Pâris était l’un des nombreux enfants de Priam et d’Hécube, les souverains de Troie. Sa naissance avait été précédé d’un prodige : sur le point d’accoucher, Hécube avait rêvé qu’elle donnait le jour à une torche qui mettait le feu à la citadelle de Troie. Le songe était clair : l’enfant à naître causerait la ruine de son peuple. Néanmoins, au lieu de tuer Pâris, Hécube le fit exposer sur une montagne de Phrygie, l’Ida. Il y fut recueilli et élevé par des bergers. Quand les trois déesses se montrèrent à lui, Pâris fut très perplexe. Mais bientôt chacune lui promit un cadeau s'il lui accordait la préférence. Héra lui offrait le royaume de l'Asie tout entier. Athéna, la victoire dans les combats, Aphrodite lui promit la plus belle des femmes, Hélène. Pâris choisit Hélène et remit la pomme d'or à Aphrodite. Selon la version la plus courante, Hélène était la fille de Zeus et de Léda, la femme du roi de Sparte (ou Lacédémone), Tyndare. On racontait que le dieu s'était uni à Léda en prenant la forme d'un cygne et que Léda avait pondu un oeuf, d'où étaient sortis ses enfants. Hélène avait deux frères, les jumeaux Castor et Pollux (qu’on appelle aussi Dioscures, fils de Zeus. Transformés en astres, ils forment la constellation des Gémeaux) et une soeur, Clytemnestre (selon d’autres versions, les filles étaient bel et bien les enfants du roi Tyndare). Toute jeune fille, Hélène fut enlevée par Thésée (fils d’Egée et roi d’Athènes) et Pirithoos (ami de Thésée, fils de Zeus et roi des Lapithes), qui avaient été séduits par son extraordinaire beauté. Quand elle revint à Sparte, Tyndare fut embarrassé par le nombre de ceux qui voulaient l'épouser. A l'instigation d'Ulysse, il leur fit prêter serment : ils respecteraient le choix d'Hélène et porteraient secours à son mari si quelqu'un lui disputait sa femme. Ainsi, Tyndare évitait que les prétendants repoussés ne lui reprochent sa décision et ne s'en prennent à l'heureux élu. Hélène se maria avec Ménélas, roi de Mycènes, dont Clytemnestre épousa le frère, Agamemnon, roi d'Argos. Quelque temps après, Tyndare légua son royaume à Ménélas. Le couple vint habiter Sparte, où il eut une fille, Hermione. Sur les conseils d'Aphrodite, Pâris se rendit à Sparte. Là, en l'absence de Ménélas, parti en voyage, il rencontra Hélène et l'enleva. Selon la plupart des auteurs postérieurs à Homère, Hélène était consentante : Pâris était si beau et si riche ! D'ailleurs le couple adultère ne partit pas les mains vides, mais emporta de nombreux trésors. II – LES PREPARATIFS DE LA GUERRE Ayant appris son infortune, Ménélas chercha à réunir à Sparte tous ceux qui avaient autrefois prêté serment devant Tyndare. Il obtint facilement le concours de Nestor, le vieux et sage, roi de Pylos, de Diomède, des deux Ajax (Ajax, fils d'Oïlée et Ajax, fils de Télamon), de Patrocle, d'Idoménée, le roi de Crète, et de bien d'autres encore. Mais, d'après une tradition posthomérique, Ménélas eut plus de mal à convaincre Ulysse de se joindre à l'expédition... Par ailleurs, le devin Calchas prédit que Troie ne pourrait être prise sans Achille. Or celui-ci restait introuvable. D'après une version posthomérique, en effet, sa mère Thétis, divinité marine, savait qu'Achille mourrait devant Troie. Elle l'avait donc repris au Centaure Chiron, qui l'élevait, et remis à Lycomède, roi de Scyros, en le faisant passer pour une fille. Sous ce déguisement, d'ailleurs, Achille était tombé amoureux d'une des filles de Lycomède, Déidamie, et avait eu d'elle un fils, Néoptolème (appelé aussi Pyrrhus). Ulysse, finalement, apprit où Achille était caché. Il vint à Scyros et offrit aux filles de Lycomède et à leurs compagnes de nombreux cadeaux. Mais, parmi des présents propres à plaire à des jeunes filles, il glissa des armes ; Achille les choisit, dévoilant ainsi sa véritable identité de guerrier. Tout heureux (car il n'avait accepté cette mascarade que pour obéir à sa mère), il alla rejoindre le reste de l'armée grecque. Les troupes se rassemblèrent dans le port d'Aulis, sous le commandement d'Agamemnon. Mais les vents étaient tombés ; on alla consulter Calchas qui répondit que ce calme était dû à la colère d'Artémis contre Agamemnon. Selon la version la plus courante, celui-ci avait en effet tué une biche, en prétendant qu'Artémis elle-même n'aurait pu mieux faire. La déesse réclamait, en expiation, le sacrifice d'Iphigénie, la fille aînée d'Agamemnon. Cédant à la pression de l'armée, Agamemnon finit par accepter ; il fit chercher sa fille, sous prétexte de la marier à Achille. Conduite devant l'autel sacrificiel par Calchas, Iphigénie allait être immolée lorsqu'Artémis eut pitié d'elle, et lui substitua une biche. Puis elle transporta la jeune fille en Tauride, où elle fit d'elle sa prêtresse. Certains auteurs toutefois disent qu'lphigénie fut bel et bien sacrifiée. La flotte grecque fit une traversée sans encombres, après, notamment, une escale à Lemnos, où l'on abandonna Philoctète, mordu par un serpent et dont la blessure dégageait une odeur pestilentielle... III – LE SIEGE DE TROIE Arrivés en vue de Troie (qu'on appelle aussi Ilion, ou Pergame), les Grecs envoyèrent une ambassade à son roi Priam. Cette ambassade était d'ailleurs la seconde, car, immédiatement après l'enlèvement d'Hélène, Ulysse et Ménélas avaient déjà essayé de régler pacifiquement l'incident. Les pourparlers de paix échouèrent une fois encore. Il est bien difficile de résumer dix ans de guerre ! Disons que la guerre de Troie se caractérise tout d'abord par la participation des dieux, même si Zeus leur interdit parfois de se mêler des affaires des humains ! Du côté grec, on trouve Athéna et Héra, bien entendu, mais aussi Poséidon. Quant à Aphrodite, Arès et Apollon, ils se rangent aux côtés des Troyens. Il arrive toutefois qu'un dieu change de camp... La guerre est l'occasion pour les champions de l'une et l'autre armée de montrer leur valeur. Chez les Grecs, Diomède et Ulysse allient la ruse et la bravoure. Les deux Ajax se distinguent. Moins toutefois qu'Achille, entre les mains duquel repose le sort des Grecs. L’Iliade d'Homère y insiste : lorsqu'Achille, irrité contre Agamemnon (qui lui a pris une de ses captives, Briséis) se retire sous sa tente, les Troyens font une telle percée qu'ils menacent de mettre le feu aux navires grecs. Alors Patrocle, l'ami d'Achille, qui, comme lui, ne combattait plus, fléchit son compagnon ; il emprunte ses armes pour revenir à l'attaque. Il massacre un grand nombre de Troyens, avant qu'Hector, le fils aîné de Priam, ne réussisse à le tuer, avec l'aide d'Apollon. Achille, averti de la mort de Patrocle, revient sur le champ de bataille et, par sa seule apparition, met les Troyens en fuite. La douleur d'Achille est immense ; il n'a plus qu'un seul but, tuer Hector et venger Patrocle. Thétis, sa mère, l'a prévenu : sa mort doit suivre de peu celle de son ennemi. Mais peu importe ! Achille a déjà choisi entre les deux destins qui s'offraient à lui : une vie longue et obscure, ou courte et glorieuse. Il reprend les armes, et affronte Hector. Puis, l'ayant tué, il accroche le cadavre à son char et fait plusieurs fois le tour de Troie en le traînant dans la poussière. Quelques jours plus tard, il accueille toutefois Priam avec bonté, et lui rend le corps de son fils, moyennant une forte rançon. Avec la mort d'Hector, les Troyens auraient perdu tout espoir si la reine des Amazones, Penthésilée, et le fils de l'Aurore, Memnon, n'étaient venus à leur secours. Mais tous deux furent tués par Achille. Une tradition tardive raconte à ce propos qu'Achille, devant le cadavre de Penthésilée, resta émerveillé par sa grande beauté. Une même tendance au romanesque apparaît dans l'une des versions de la mort d'Achille. On imagina en effet qu'Achille était tombé amoureux de Polyxène, la plus jeune fille de Priam, venue avec son père réclamer la dépouille d'Hector. Feignant de favoriser ses amours, Hécube, sa mère, demanda à Achille de se rendre désarmé au temple d'Apollon pour y célébrer son mariage avec Polyxène. Là, Pâris, dissimulé derrière une statue d'Apollon, tua Achille d'une flèche. Selon la tradition dominante, toutefois, Achille fut tué sur le champ de bataille, soit par Pâris, aidé d'Apollon, soit par le seul Apollon, qui visa le point faible d'Achille, son talon (Thétis avait cherché à rendre son fils invincible en brûlant ses chairs mortelles ou en le plongeant dans l'eau du Styx, mais le talon d'Achille avait échappé à ces opérations). Les Grecs livrèrent un dur combat aux Troyens pour rapporter le corps d'Achille dans leur camp. Ajax, fils de Télamon, et Ulysse y parvinrent finalement. Pour prix de sa bravoure, chacun réclama les armes du héros. Ce fut Ulysse qui les obtint. Ajax, devenu fou, massacra dans la nuit les troupeaux des Grecs, croyant égorger Ulysse et ses partisans. Le matin, il retrouva sa lucidité, ne put supporter son déshonneur et se donna la mort. Telle est la version des tragiques et des poètes du Cycle (avec quelques nuances), mais une version plus récente fait vivre Ajax jusqu'à la chute de Troie Hector est mort, Achille et Ajax aussi : la fin de la guerre est proche. De nombreux oracles indiquent aux Grecs comment obtenir la victoire. Sur les conseils de Calchas, tout d'abord, Ulysse alla chercher Philoctète dans son île et l'amena devant Troie, où on le guérit. Alors, grâce à l'arc et aux flèches qu' Héraclès lui avait jadis légués, Philoctète tua Pâris. Le devin Hélénos, fils de Priam, fit aussi plusieurs révélations importantes. En effet, il était prisonnier des Grecs et en proie au ressentiment contre les siens : Priam, à la mort de Pâris, lui avait refusé Hélène en mariage et avait donné celle-ci à un autre de ses fils, Déiphobe. Hélénos apprit donc à Ulysse que Troie ne tomberait pas, tant que le Palladion, ou statue de Pallas (Athéna), s'y trouverait. Sur ses indications, Diomède et Ulysse se rendirent nuitamment à Troie et s'emparèrent de ce talisman. Hélénos prédit aussi aux Grecs que Troie ne serait prise qu'avec l'aide du fils d'Achille, Néoptolème ; une ambassade conduite par Ulysse alla à Scyros et en ramena le jeune homme. (Certains textes toutefois n'adoptent pas cette chronologie : Philoctète arrive devant Troie après Néoptolème et Hélénos rend ses oracles avant la mort de Pâris.) Mais tout cela ne suffit pas. On eut recours finalement à une ruse, inventée par Ulysse, ou inspirée par Athéna : on bâtit un immense cheval en bois, dans lequel prirent place les plus vaillants des Grecs. Les Troyens n'en croyaient pas leurs yeux : les Grecs avaient disparu et, sur le rivage désert, se dressait un mystérieux cheval de bois. Les avis étaient partagés : fallait-il le jeter à la mer, le brûler, le percer de part en part, ou le faire entrer dans la ville ? On hésitait encore lorsque des soldats revinrent avec un Grec. On le fit parler. Il dit que le cheval était une offrande expiatoire à Athéna, irritée par le vol du Palladion. Les Grecs lui avaient donné cette taille imposante pour dissuader les Troyens de l'emmener chez eux, en les obligeant à abattre un pan de leurs murailles pour le faire passer. Car Calchas avait annoncé que ce cheval garantirait aux Troyens la suprématie sur la Grèce s'il pénétrait dans leur ville... Les Troyens furent trompés par ces révélations mensongères. On raconte aussi que le prêtre d'Apollon, Laocoon, leur avait conseillé de brûler le cheval. Mais, alors qu'il offrait un sacrifice à Poséidon, deux énormes serpents sortirent de la mer et l'étouffèrent, lui et ses deux fils. Les Troyens virent dans ce prodige une raison supplémentaire d'introduire le cheval dans Troie, car ils crurent que Laocoon venait d'être puni pour s'y être opposé. Quant à Cassandre, soeur jumelle d'Hélénos, prophétesse comme lui, elle annonça la chute imminente de Troie, mais personne ne lui prêta attention : Cassandre ne prédisait jamais que des malheurs et Apollon lui avait refusé de jamais être crue. Les Troyens démolirent donc un bout du mur d'enceinte, mirent le cheval sur des roues et le tirèrent à l'intérieur de Troie. Puis on fêta le départ des Grecs. La nuit tomba. IV – LA CHUTE DE TROIE Sinon, le guerrier trouvé sur le rivage, ouvre alors les flancs du cheval, d'où sort l'élite des guerriers grecs. Il allume aussi un feu, au plus haut de la ville, pour inviter le reste de l'armée, qui avait mouillé non loin de Troie, à les rejoindre. Les Grecs s'abandonnent aux pires violences sur les Troyens qui, surpris dans leur sommeil, offrent peu de résistance. La famille royale est particulièrement visée. Hélène cache les armes de Déiphobe et ouvre la porte à son premier mari, Ménélas. Celui-ci mutile son rival, qui meurt dans d'affreuses souffrances. Entendant l'ennemi pénétrer dans son palais, Priam veut reprendre ses armes et défendre les siens. Mais Hécube le force à se réfugier auprès d'un autel. Peine perdue : Néoptolème l'en arrache et le tue. Ajax, fils d'Oïlée, ne respecte pas davantage les dieux et s'empare de Cassandre, qui s'était abritée dans le temple d'Athéna. Des versions plus récentes ajoutent qu'il la viole. Les hommes sont massacrés. Les femmes et les enfants sont répartis entre les Grecs, pour être emmenés en esclavage. Andromaque revient ainsi à Néoptolème mais, selon la version dominante, Astyanax, le fils qu'elle avait eu d'Hector, est précipité par Ulysse du haut des remparts. Agamemnon obtient Cassandre, dont il s'est épris. Hécube échoit à Ulysse, mais n'aura pas à affronter avec lui les périls de la mer : on raconte qu'elle fut métamorphosée en chienne sur le bateau qui l'emmenait en Grèce et qu'elle se précipita à la mer. Polyxène est immolée sur le tombeau d'Achille. Hélène est rendue à Ménélas. Il ne reste bientôt de Troie qu'une ville en flammes. V – LES TEXTES ANCIENS RELATIFS A LA GUERRE DE TROIE Plus d'un a sans doute sera ou a été surpris de ne pas retrouver dans l'Iliade la guerre de Troie telle que la lui avaient fait vivre les « contes et légendes » de sa jeunesse. Homère, en effet, ne chante qu'un épisode restreint de la guerre entre Grecs et Troyens : la colère d'Achille et ses conséquences, après neuf ans de batailles. D'où vient alors cette image globale de la guerre de Troie qui rôde dans nos mémoires ? De sources éparses, dont les plus anciennes ne nous sont connues que par des commentaires, des citations ou des résumés d'époque plus récente, comme celui du philosophe grec Proclus. De même, plusieurs poètes ont traité chacun un moment de la guerre de Troie. Dans l'ordre des événements racontés, énumérons les Chants Cypriens (les origines et le début de la guerre), l'Éthiopide (de la fin de l'Iliade à la dispute autour des armes d'Achille), la Petite Iliade (de la mort d'Ajax à l'entrée des Grecs dans Troie), la Prise d'Ilion, et les Retours (des différents chefs grecs, à l'exception d'Ulysse, puisque l'Odyssée lui était consacrée). Il existait aussi une Télégonie, ou suite à l'Odyssée. Tous ces textes ont été composés entre la fin du VIIe siècle et le début du VIe avant J.-C. Les légendes du cycle troyen furent ensuite reprises dans le théâtre tragique. Nous conservons deux oeuvres d'Euripide, qui envisagent la chute de Troie du point de vue des vaincus et plus particulièrement des femmes : Hécube (424 avant J.-C.) et Les Troyennes (415 avant J.-C.). L'Ajax et le Philoctète de Sophocle (antérieur à 442 avant J.-C. et 409 avant J.-C.) nous sont aussi parvenus. Chez les Latins, Virgile évoque la chute de Troie au chant II de l'Énéide (composée entre 29 et 19 avant J.-C.), Ovide raconte la guerre de Troie dans les livres XII et XIII des Métamorphoses (entre 2 et 8 de notre ère) et Sénèque combine les deux pièces citées d'Euripide dans ses Troyennes (entre 49 et 62après J.-C.). Les mythographes (éty. : ceux qui écrivent les mythes) firent aussi leur travail habituel de compilation et de synthèse : Apollodore nous donne une version suivie de la guerre de Troie, tandis qu'Hygin rassemble plusieurs éléments, sans proposer réellement de récit continu. Vers la fin de l'Antiquité, la guerre de Troie reste une source d'inspiration. Au IIIe siècle de notre ère, Quintus de Smyrne écrivit une Suite d'Homère. Plus tard, deux oeuvres de la basse latinité, l'Histoire de la guerre de Troie, attribuée à Dictys de Crète (IVe siècle ?) et l'Histoire de la ruine de Troie, attribuée à Darès le Phrygien (Ve siècle ?), connurent un immense succès et assurèrent la transmission du mythe pendant tout le Moyen-Âge. Il est vrai qu'elles passèrent longtemps pour des traductions d'oeuvres rédigées en grec, dont les auteurs auraient participé à la guerre de Troie, chacun dans un camp ! VI – L’ILIADE Pourtant, pour nous modernes, le poète de la guerre de Troie reste Homère, c'est-à-dire probablement un aède (en Grèce, poète épique qui chantait ou récitait ses œuvres) qui, au VIIIe siècle avant J.-C., composa l'Iliade à partir d'éléments empruntés à la tradition orale. On peut distinguer deux moments dans ce récit épique. Du chant I au chant XV, l'armée grecque subit les conséquences de la colère d'Achille. Au chant I, nous apprenons en effet que celui-ci, furieux contre Agamemnon, qui l'a privé de sa captive Briséis, renonce à combattre. Thétis obtient de Zeus qu'il donne la victoire aux Troyens jusqu'à ce que les Grecs offrent réparation à Achille. Les chants suivants nous montrent donc les succès des Troyens, lors d'une première bataille (chants II à VII) et d'une seconde, où Hector consolide tellement ses positions qu'il peut installer son bivouac face aux bateaux grecs (chant VIII). Pendant cette nuit, les Grecs envoient une ambassade à Achille, qui refuse de reprendre les armes, malgré les cadeaux offerts par Agamemnon (chant IX), puis ils font une reconnaissance dans le camp troyen (chant X). A partir du chant XI et jusqu'au chant XV, Homère raconte la troisième bataille : malgré les exploits des chefs grecs, les Troyens pénètrent dans le camp des Grecs et sont en mesure d'incendier leurs vaisseaux. Alors survient une péripétie qui aura raison de l'obstination d'Achille. Ému par les pertes de l'armée grecque, Patrocle revêt les armes d'Achille, repousse les Troyens (chant XVI) mais est tué par Hector (chant XVII). Achille décide de venger Patrocle et de tuer Hector, même si, selon une prédiction de Thétis, il doit le suivre peu de temps après dans la mort. Héphaïstos lui fabrique de nouvelles armes (chant XVIII). Au chant XIX, Achille se réconcilie avec Agamemnon. Puis il repousse les Troyens jusque dans leur ville (chants XX et XXI). Au chant XXII, il tue Hector, accroche son cadavre à son char et le traîne autour des remparts. Le chant XXIII raconte les jeux funéraires donnés en l'honneur de Patrocle. Le poème se conclut dans un climat plus apaisé : au chant XXIV, Achille reçoit Priam et lui rend le corps de son fils. Troie célèbre les funérailles d'Hector. APRES LA GUERRE DE TROIE I – LES DIFFICULTES DU RETOUR DES GUERRIERS GRECS La victoire des Grecs fut amoindrie par les difficultés qu'ils eurent à rentrer chez eux. En effet, au moment d'embarquer, Calchas avertit que les dieux vengeraient le sacrilège commis par Ajax. Les tragiques imaginent ensuite que la flotte partit au grand complet, mais qu'une tempête la disloqua. Inversement, l'Odyssée et les poètes du cycle racontent que les chefs rentrèrent en ordre dispersé, après de vives discussions. Nestor et Diomède regagnèrent leur pays sans encombres. De même, Néoptolème parvint en Thessalie par bateau, ou en Épire par voie de terre, conseillé, dans cette dernière variante, par Thétis ou Hélénos. Ménélas fut surpris par une tempête en doublant le cap Malée. Une autre tempête, plus terrible encore, s'abattit sur le gros de la flotte, au large de Ténos ou de l'Eubée. C'est là que périt Ajax. Une tradition posthomérique veut que les quelques rescapés de ce naufrage aient été attirés par Nauplios sur des récifs, au sud de l'Eubée. Nauplios vengeait là son fils, Palamède, lapidé par les Grecs à la suite d'une machination d'Ulysse : celui-ci n'avait pas pardonné à Palamède de l'avoir démasqué lorsqu'il simulait la folie pour ne pas participer à la guerre de Troie. Ménélas, on l'a vu, ne put franchir le cap Malée. Alors que la plupart des bateaux de son escorte s'échouaient sur les côtes de Crète, lui-même continua sa route jusqu'en Égypte. Il y vécut plusieurs années et devint immensément riche. Quand il voulut quitter l'Égypte, il fut immobilisé dans un calme plat, non loin des côtes, à Pharos. Il alla consulter le dieu marin Protée, qui lui conseilla de revenir en arrière et d'offrir des sacrifices aux dieux. S'étant exécuté, Ménélas revint à Sparte avec Hélène. On raconte aussi autrement cet épisode égyptien. Ménélas aurait retrouvé Hélène en Égypte. Zeus (ou Héra) l'avait confiée à Protée (qui est, dans ce cas, un roi) et Pâris n'avait emmené à Troie qu'une fausse Hélène, faite de nuées! Lorsque Ménélas fut en présence de sa véritable épouse, le fantôme d'Hélène s'évanouit dans les airs. Agamemnon partit de Troie un peu après son frère : il voulait faire une offrande à Athéna. Mais il n'arriva à Argos que pour y tomber dans un guet-apens. Pendant son absence, en effet, sa femme Clytemnestre avait pris un amant, Égisthe, cousin germain d'Agamemnon. Tous deux l'attendaient pour l'assassiner et le tuèrent, soit dans son bain, soit lors d'un banquet. Agamemnon fut d'ailleurs vengé, plusieurs années après, par son fils Oreste. Cet épisode doit être restitué dans le cadre général de l'histoire de la famille des Atrides, que nous évoquons plus loin. II - L'ERRANCE D'ULYSSE Quant à Ulysse, il mit dix ans à regagner Ithaque ! Séparé des autres bateaux grecs par une tempête, il échoua d'abord en Thrace, au pays des Cicones, et en massacra tous les habitants, sauf un prêtre d'Apollon, qui lui donna en remerciement douze outres pleines d'un vin doux et fort... Il repartit alors et un vent violent le poussa jusqu'au pays des Lotophages (étymo. : mangeurs de lotus). Ceux-ci le reçurent amicalement. On servit le mets favori des habitants, le lotus. Mais ce plat faisait perdre aux compagnons d'Ulysse l'envie de rentrer chez eux. Ulysse dut les contraindre de vive force à repartir. Après une escale sur une île remplie de chèvres, où ils purent se ravitailler, Ulysse et ses hommes débarquèrent au pays des Cyclopes. Ayant emporté les outres de vin comme cadeau d'hospitalité, ils découvrirent une caverne pleine de provisions et s'y installèrent. Mais bientôt le propriétaire des lieux apparut : c'était Polyphème, le Cyclope, un être gigantesque avec un seul oeil, au milieu du front ! Il fit entrer ses moutons, barra d'un rocher la sortie de la grotte et se mit en appétit en dévorant deux compagnons d'Ulysse. Celui-ci lui tendit alors une outre de vin. Le Cyclope trouva la boisson à son goût, demanda son nom à Ulysse, qui répondit : « Personne ». Goguenard, le Cyclope promit à « Personne », pour le remercier de son présent, de le dévorer en dernier. Puis, peu habitué à l'alcool, il s'endormit. Ulysse durcit alors un pieu au feu et en aveugla Polyphème. Celui- ci poussa des cris déchirants, les autres Cyclopes accoururent mais, à leurs questions, Polyphème répondit : « Qui me tue ? Personne ! » Au matin, il roula la pierre, laissa sortir son troupeau et, avec lui, Ulysse et les survivants, cachés sous le ventre des béliers. L'ayant ainsi échappé belle mais s'étant attiré la colère du père de Polyphème, Poséidon, Ulysse reprit la mer. Il gagna l'île du dieu des vents, Éole. Éole lui offrit une outre où étaient enfermés tous les vents contraires. Seule était restée libre une brise qui devait le ramener directement à Ithaque. Mais, pendant qu'Ulysse dormait, ses hommes ne surent résister à leur curiosité ; ils ouvrirent l'outre, déchaînant une tempête terri- fiante, à peu de distance du but. Ensuite, Ulysse et ses compagnons arrivèrent chez les Lestrygons, des géants, qui les massacrèrent. Ulysse repartit, avec quelques hommes d'équipage, seuls rescapés. Il atteignit Aia, séjour de la magicienne Circé et envoya des éclaireurs dans les terres. Ceux-ci pénétrèrent imprudemment chez la magicienne, et furent transformés en porcs. Un seul homme était resté à l'écart ; il alla tout raconter à Ulysse, qui voulut se rendre compte de la situation. En chemin, il rencontra Hermès, venu lui donner des conseils et un antidote. Ainsi, il échappa aux sortilèges de Circé. Désormais en position de force, Ulysse exigea d'elle que ses compagnons retrouvent leur forme première. Puis il resta un an avec eux chez Circé, avant de songer au retour. Alors la magicienne révéla à Ulysse qu'il lui fallait entreprendre un voyage vers le pays des morts pour y consulter le devin Tirésias. On se prépara à cette triste expédition, cependant qu'Elpénor se tuait stupidement en tombant d'un toit, à l'insu de tous. On se dirigea vers le pays des Cimmériens. Là, Ulysse fit des libations pour attirer les âmes des morts. Le premier à se manifester fut Elpénor, qui réclama une sépulture selon les rites. Puis Ulysse put parler à Anticlée, sa mère, et à Tirésias. Celui-ci lui prédit qu'il rentrerait à Ithaque, vraisemblablement seul, et y tuerait les prétendants de sa femme Pénélope ; un jour, il lui faudrait repartir, un aviron sur l'épaule, à la recherche d'un peuple qui ignore la navigation ; quand il l'aurait trouvé, ayant offert un sacrifice à Poséidon, il reviendrait définitivement chez lui et mourrait, heureux, loin de la mer. Ulysse conversa encore avec des héros de la guerre de Troie et revint chez Circé. On enterra Elpénor. Puis Ulysse reprit la mer, non sans avoir écouté les derniers conseils de Circé. Elle lui dit notamment que lorsqu'il passerait près du rivage des Sirènes, qui chantent pour attirer les marins, puis les dévorent, il devrait boucher les oreilles de ses compagnons avec de la cire et se faire attacher au grand mât. Ulysse lui obéit et put ainsi profiter de ces voix ensorceleuses sans succomber à leur appel. Puis il passa à proximité de Charybde, monstre qui avalait trois fois par jour d'immenses quantités d'eau et tout ce qui flottait aux alentours. Le bateau d'Ulysse franchit l'obstacle au bon moment mais six des marins furent engloutis par Scylla, un autre monstre, à six têtes, qui fermait le détroit à une portée d'arc de Charybde. Les rescapés firent ensuite relâche dans l'île du Soleil. Ulysse transmit à ses hommes les recommandations de Tirésias et de Circé : en aucun cas, ils ne devraient toucher aux troupeaux du Soleil. Mais des vents contraires prolongèrent l'escale ; on vint à manquer de vivres ; profitant du sommeil d'Ulysse, son équipage fit main basse sur les vaches sacrées. Le dieu s'irrita ; on s'enfuit. Une tempête s'étant levée, le bateau se brisa et sombra ; tous se noyèrent. Seul, Ulysse réussit à se hisser sur un radeau de fortune. Le courant le ramena à la hauteur de Charybde qui, cette fois, avala son embarcation. Ulysse eut juste le temps de sauter et de s'accrocher à un figuier, à l'entrée de la grotte où se cachait le monstre ; il attendit, longtemps, que celui-ci recrache son esquif, le reprit et fut à nouveau emporté par le courant. Il dériva pendant neuf jours. A la dixième nuit, il aborda à Ogygie, île de la nymphe Calypso. Celle-ci l'aima et le choya pendant plusieurs années. Mais lui n'avait qu'un seul désir : revenir à Ithaque. Enfin, Athéna, qui le protégeait, obtint gain de cause auprès de Zeus. Celui-ci envoya Hermès ordonner à Calypso de libérer Ulysse. La nymphe fournit, à contrecœur, de quoi faire un radeau, et Ulysse repartit. Mais Poséidon suscita encore une tempête et c'est accroché à une épave, tout nu, que le héros échoua sur le rivage de l'île des Phéaciens. Épuisé, il s'endormit dans des fourrés, non loin de l'embouchure d'un fleuve. Le matin, il fut réveillé par des cris et des rires : Nausicaa, la fille du roi, était venue avec ses compagnes laver le linge et jouer à la balle en attendant qu'il sèche. Ulysse, ayant caché sa nudité avec un branchage, se montra ; toutes les jeunes filles s'enfuirent, sauf Nausicaa. Elle accepta d'aider Ulysse et lui indiqua le chemin vers le palais, qu'elle regagna par une route différente, afin de ne pas faire jaser les passants. Le roi, Alcinoos, et la reine, Arétè, accueillirent Ulysse avec bonté. On donna un banquet en son honneur, au cours duquel il raconta ses aventures. Puis on le couvrit de cadeaux et, comme il déclinait l'offre qu'on lui faisait d'épouser Nausicaa, on voulut bien le reconduire à Ithaque. Bientôt, des marins phéaciens déposaient Ulysse endormi, dans un coin écarté de son île natale, avec de nombreux trésors. Ulysse avait quitté Ithaque depuis vingt ans. Les années et les épreuves l'avaient transformé ; il ne serait pas immédiatement reconnu. Il ignorait par ailleurs quelle était exactement la situation : il décida de ne pas révéler immédiatement son identité. Il alla toutefois chez le porcher Eumée, en qui il avait confiance, le sonda et s'en fit reconnaître. Il retrouva aussi Télémaque, son fils, à peine rentré de Pylos et de Sparte, où il était allé demander à Nestor et à Ménélas des nouvelles de son père. Puis Ulysse gagna le palais, déguisé en mendiant. Seul son chien, Argos, comprit que son maître revenait ; il remua la queue, et mourut. Ulysse mendia sa pitance aux prétendants et put observer leur comportement. Nombreux furent ceux qui le repoussèrent, surtout Antinoos, le plus puissant d'entre eux. Quand Pénélope eut appris la venue d'un mendiant qui avait beaucoup voyagé, elle demanda à le voir, pour lui demander des nouvelles d'Ulysse. Mais Ulysse remit leur entretien au soir. Pénélope subissait avec amertume l'invasion de sa demeure par les prétendants. Ils pillaient ses biens et la courtisaient pour obtenir le pouvoir. Elle n'avait que la ruse à leur opposer. Ainsi, elle avait promis de choisir un mari parmi eux, le jour où elle aurait fini le linceul de Laerte, le père d'Ulysse. Mais, chaque nuit, elle défaisait ce qu'elle avait tissé pendant la journée. Le soir venu, Télémaque cacha, sur l'ordre de son père, toutes les armes qui se trouvaient dans le palais. Puis Ulysse rejoignit Pénélope. Il se fit passer pour un Crétois, qui avait bien connu Ulysse ; convaincue par la précision de son récit, Pénélope décida de l'honorer. La nourrice, Euryclée, lui donna un bain de pieds. Mais elle reconnut tout à coup une cicatrice qu'Ulysse avait à la cheville; son maître eut juste le temps de lui dire de ne pas crier sa joie et de ne rien révéler encore à Pénélope. Celle-ci revint et demanda au mendiant la signification d'un rêve qu'elle avait fait. « Il annonce le retour de ton mari », interpréta Ulysse. Mais Pénélope ne pouvait s'en persuader. Elle confia au mendiant que, le lendemain, elle donnerait sa main au prétendant qui saurait, avec l'arc d'Ulysse, traverser, d'un trait, comme lui, douze haches alignées. Le jour suivant, tous les prétendants, l'un après l'autre, saisissent l'arc mais aucun ne peut le bander. A la fin, Ulysse se fait remettre son arme et, du premier coup, atteint sa cible. Télémaque se dresse à ses côtés, avec son épée. Alors Ulysse rejette ses guenilles. Sa première flèche est pour Antinoos. Les prétendants veulent riposter mais plus aucune arme n'est accrochée aux murs de la salle ; ils sont massacrés. Puis Ulysse pend dans la cour les servantes qui avaient accordé leurs faveurs aux prétendants. Mais Pénélope hésite encore à croire que son mari se tient devant elle. Pour le mettre à l'épreuve, elle demande à ses servantes de déplacer le lit nuptial. Ulysse l'interrompt, consterné, car c'est lui qui l'avait bâti, inamovible. A ce trait, connu d'eux seuls, Pénélope perd ses derniers doutes et se jette en pleurant au cou d'Ulysse. Celui-ci confie à sa femme la prédiction de Tirésias et le dernier voyage qui l'attend. Puis ils goûtent à nouveau « la joie du lit ancien ». Le lendemain, Ulysse alla rejoindre son père sur ses terres et s'en fit reconnaître. Cependant, les familles des prétendants assassinés réclamaient vengeance ; grâce à l'intervention d'Athéna, qui avait pris les traits de Mentor, un vieil habitant d'Ithaque, la paix revint dans l'île. Ici s'arrête l'Odyssée. Néanmoins, plusieurs traditions racontent la fin de la vie d'Ulysse. La plus célèbre le fait mourir, accidentellement, de la main de Télégonos, le fils qu'il avait eu de Circé. III - LE PERSONNAGE D'ULYSSE DANS L'ODYSSÉE Ulysse apparaît pour la première fois dans l'Iliade. Guerrier courageux, il se distingue des autres par sa diplomatie (on l'envoie auprès des Troyens ou auprès d'Achille) et sa capacité à parler aux soldats le langage qu'ils entendent : il les dissuade, par exemple, au chant II, de rentrer chez eux. Toutefois il faut attendre l'Odyssée pour qu'Ulysse passe au premier plan. Le récit que nous venons de faire permet d'imaginer les aventures du héros ; mais, par commodité, nous avons tout raconté dans l'ordre chronologique, alors que l'Odyssée est composée de façon beaucoup plus savante. On peut y voir trois parties. La première, souvent appelée Télémachie, montre le fils d'Ulysse, Télémaque, inquiet de l'absence prolongée de son père ; il décide, avec l'aide d'Athéna et malgré les prétendants, d'aller demander à Pylos, puis à Sparte, des nouvelles d'Ulysse (chants I à IV). Ménélas lui apprend ainsi qu'Ulysse est toujours en vie. Puis nous quittons Télémaque pour Ulysse : ce sera une deuxième partie (chants V à XIII), assez complexe. Au chant V, les dieux ordonnent à Calypso, dépitée, de laisser partir Ulysse ; il prend la mer. Après une tempête, il échoue sur l'île des Phéaciens, où il rencontre Nausicaa, la fille du roi (chant VI). Reçu au palais (chant VII), Ulysse participe à une fête donnée en son honneur (chant VIII), au cours de laquelle un aède chante certains hauts faits de la guerre de Troie : Ulysse ne peut cacher son émotion. Le roi l'invite à se nommer et à raconter son histoire. Ulysse fait alors le récit de ses aventures ( chants IX à XII) .Au chant XIII, les Phéaciens le laissent, endormi, sur le rivage d'Ithaque. La troisième partie (chants XIII à XXIV) se déroule entièrement dans l'île, que Télémaque regagne au chant XV. On y voit Ulysse se faire reconnaître de ses proches et se venger des prétendants. Dans l'Odyssée, Ulysse incarne « toute la métis humaine ». La métis est une forme d'intelligence pratique, proche de la ruse, aussi nécessaire à l'artisan et au pilote qu'au sophiste et à l'homme politique. Elle implique le flair, la débrouillardise, le recul, la prudence, le mensonge parfois, ou le leurre. Telles sont bien les qualités qui permettent à Ulysse de venir à bout de Polyphème ou des prétendants, par exemple. Un autre aspect d'Ulysse attire aussi la sympathie : il est l'homme de toutes les aventures, et, pourtant, il n'a qu'une idée, revenir à Ithaque et retrouver Pénélope. Cette tension entre l'extérieur (l'aventure) et l'intérieur (l'intimité de sa famille) lui permet de vivre la somme des expériences humaines. De même, il pourrait se perdre entre tous les récits mensongers qu'il fait de sa vie pour se protéger, mais il ne regagne sa patrie qu'après s'être ressaisi en racontant aux Phéaciens sa véritable histoire. ____________ |